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Frédéric Gros : « Le courage du “dire-vrai”, sans retenue hypocrite »

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Frédéric Gros : « Le courage du “dire-vrai”, sans retenue hypocrite »  Empty Frédéric Gros : « Le courage du “dire-vrai”, sans retenue hypocrite »

Message par Christine RODRIGUEZ Mar 24 Juil - 10:42

LE MONDE IDEES | 21.07.2018 à 09h00 • Mis à jour le 22.07.2018 à 17h32 | Propos recueillis par Anne Chemin


Philosophe, éditeur de Michel Foucault dans « La Pléiade », Frédéric Gros est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Désobéir (Albin ­Michel, 2017). Il est professeur à Sciences Po Paris.

Michel Foucault a défendu l’idée que le courage est nécessaire à la vérité, il en a même fait le titre d’une année de cours au Collège de France, en 1984, « Le courage de la vérité » (Seuil/Gallimard, 2009). Pourquoi faut-il du courage pour énoncer une vérité ?
Pour Michel Foucault, la vérité n’est pas ­forcément un discours détaché et objectif sur le monde, une forme d’adéquation au réel ou une manière de reproduire un état de fait : le marqueur de la vérité peut aussi être ce qui ­dérange. Il reprend là une idée de Nietzsche : la vérité est ce que nul ne veut reconnaître, ce que chacun tente de masquer. Le contraire de la vérité, explique-t-il, ce n’est donc pas ­l’erreur ou le mensonge mais la doxa, l’opinion commune.
Dans ce cours de 1984, il retrouve l’intuition originelle de la philosophie : quand une idée n’est pas pensée à la première personne, elle risque de ressembler à du conformisme intellectuel. Pour aller contre l’opinion commune et se faire son propre jugement, il faut fournir un certain effort intellectuel, ce qui requiert du courage. Mais aussi prendre le risque de ne pas être d’accord avec ses semblables, ce qui demande, là encore, du courage.

Michel Foucault s’attarde sur quatre des visages du courage de la vérité. Le premier est le courage démocratique de la vérité, la « parrêsia ». Comment la définiriez-vous ?

Nous connaissons tous les fondements de la démocratie – l’égalité devant la loi, la liberté d’expression, les droits fondamentaux, la dignité de chacun… Michel Foucault y ajoute un pilier oublié de la démocratie grecque : la parrêsia, un terme qui signifie le fait de tout dire, sans retenue hypocrite ni arrière-pensée.
Pour que la vérité démocratique émerge, il ne suffit pas de respecter des règles comme le partage du temps de parole ou la transparence des débats : il faut aussi accepter ce principe du « dire-vrai » qui bouscule les opinions majoritaires et les évidences confortables. Le courage démocratique consiste à avoir une parole ­dérangeante : l’homme politique ne doit rien cacher à ses concitoyens de la gravité de la ­situation ou de la dureté des choix à venir.
Avec ce « tout-dire », Michel Foucault en vient naturellement à la notion de courage. La parrêsia politique suppose en effet une prise de risque, une certaine exposition à la colère de l’autre : il prend l’exemple de Périclès qui, pendant la guerre du Péloponnèse [au Ve siècle avant J.-C.], adresse au peuple d’Athènes des vérités douloureuses en suscitant son indignation, sa rage et sa haine. Michel Foucault sait, bien sûr, que la démocratie consiste à construire des consensus, mais il explore l’idée que la rupture de ce consensus peut être un marqueur de vérité. Ce n’est pas de l’antidémocratisme : c’est l’idée qu’une démocratie doit être critique.

Le second visage du « courage de la vérité » évoqué par Foucault est la « parrêsia ­éthique » de Socrate. En quoi se différencie-t-elle de la « parrêsia politique » ?

Pour Michel Foucault, Socrate transforme la parrêsia politique en parrêsia éthique. Le ­cadre, la forme et l’objet ont changé : Périclès s’adressait, dans de grands discours, à la communauté citoyenne réunie en Assemblée – c’est la parrêsia politique –, alors que Socrate dialogue dans les rues d’Athènes avec les ­citoyens – c’est la parrêsia éthique. Le courage de la vérité prend une forme nouvelle : il ­consiste à examiner à fond ce que l’on reçoit comme des évidences mais, surtout, à interroger l’harmonie que chacun de nous établit ­entre ses discours et ses actes.
Ce qui gouverne cette harmonie, c’est ce que Michel Foucault appelle le souci de soi. Le souci de soi n’est pas une attitude individualiste ou nombriliste : c’est une manière de chercher la source de l’éthique, non dans des normes transcendantes extérieures, mais dans un ­rapport d’amitié fondamental avec soi-même. ­Celui qui refuse de participer à un assassinat, disait Hannah Arendt, le fait moins pour obéir à l’injonction « tu ne tueras point » que parce qu’il n’a pas envie de passer sa vie avec un ­assassin. Le souci de soi consiste donc à construire la visibilité éthique de son existence.
Avoir le courage de la vérité, c’est donc tenter de préserver, non pas son moi psychologique, mais la part d’humanité que nous avons en nous. Cette parrêsia éthique nécessite du courage : si l’on veut renoncer aux accommodements faciles, il faut se soumettre à une vigilance constante. Le courage de la vérité est une discipline – pas une discipline dans le sens où l’entend Foucault dans Surveiller et punir (Gallimard, 1975), c’est-à-dire une normalisation, mais une discipline qui permet de nourrir sa propre existence avec ses propres valeurs.

La troisième figure du courage de la vérité évoquée par Foucault dans son cours est celle des cyniques. Pourquoi cette référence ?

Le courage de la vérité prend une nouvelle forme avec les cyniques de l’Antiquité. Ces ­cyniques – le terme n’a rien à voir avec le sens qu’on lui donne aujourd’hui – dénoncent les conventions idiotes et les hypocrisies sociales depuis une position d’extériorité qui les rend imperméables à toute récupération. Ils vivent comme des chiens (d’où le qualificatif ­kunikos, « cynique »,formé à partir du terme grec désignant le chien) : errant de ville en ville, ils haranguent la foule en critiquant les compromis faciles, la vanité des possessions matérielles et l’emprisonnement de chacun dans des représentations imbéciles.
C’est cette radicalité d’existence qui authentifie, chez les cyniques, le courage de la vérité : pour déployer cette parole rugueuse et provocatrice, ils refusent tout attachement au monde. Ils veulent ne rien avoir à défendre – ni richesse, ni position, ni statut. Avec les ­cyniques, le courage de la vérité n’est pas, comme avec Socrate, du côté de la construction personnelle, de l’exemplarité ou de la ­sagesse, mais du côté de la provocation et de la dénonciation des hypocrisies sociales. Cette troisième modalité du courage de la vérité est articulée à un choix d’existence radicale qui est la condition d’une liberté absolue.

La quatrième figure du courage de la vérité explorée par Michel Foucault est celle de Kant. A quoi ressemble-t-elle ?

Dans un article publié en 1784, Kant affirme que les Lumières ne sont ni un moment de l’histoire ni un courant philosophique, mais une posture éthique qui consiste à quitter l’état de minorité dans lequel les hommes se voient prescrire ce qu’ils doivent faire, penser et croire. Kant prend trois exemples : le fait de penser par soi-même sans aligner ses opinions sur celles d’un livre ou d’une autorité ; le fait d’agir selon sa conscience, sans suivre aveuglément les indications d’un directeur de conscience ; le fait de se donner des règles de vie et d’hygiène sans se laisser dicter ses choix d’existence par un médecin. Ces exemples convergent vers un seul concept : l’autonomie. Avec Kant, le courage de la vérité ­s’intériorise : le sujet accepte d’être dérangé dans ses certitudes.

Aujourd’hui, où sont les figures du courage de la vérité ?

Le grand problème aujourd’hui, c’est que le courage de la vérité est devenu une posture, voire une nouvelle langue de bois. Tous les ­politiques prétendent tenir un discours que personne n’ose tenir. Le courage de la vérité est donc pris à revers parce qu’il est devenu le principal vecteur des idées reçues et des raccourcis faciles. C’est un paradoxe : l’ennemi de la parrêsia politique, c’est justement la rhétorique du démagogue qui caresse les opinions majoritaires. Pour Michel Foucault, le vrai contraire de la démocratie, ce n’est d’ailleurs pas la tyrannie : c’est la démagogie.
Christine RODRIGUEZ
Christine RODRIGUEZ

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Date d'inscription : 13/02/2018

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